28/02/2015
Canada – Alberta

L’or noir de la discorde

Repérer le sens du vent est à la
portée du premier œil venu à Fort McKay : il suffit de suivre la
direction des fumées. En cette matinée de février, alors que les
températures descendent en dessous de - 20 °C dans le nord de la
province canadienne de l’Alberta, les colonnes cotonneuses qui s’élèvent
des cheminées des sites d’exploitation des sables bitumineux sont
poussées vers le sud. Parfois, elles choisissent le nord, descendent le
long de la rivière Athabasca et s’invitent dans cette réserve
amérindienne, petit village de 700 habitants, cernée par l’industrie
pétrolière.

Les autochtones de Fort McKay étaient installés là bien
avant que, dans le courant des années 1960, l’Alberta ne commence à
puiser dans l’or noir que renferme son sous-sol. Une partie du nord-est
de la province abrite la troisième réserve mondiale de pétrole non
conventionnel (168 milliards de barils), un bitume dense et visqueux
mélangé à du sable, à de l’argile et à de l’eau. L’extraction de ces
sables bitumineux a fait la prospérité de la région, et personne
n’imagine son déclin malgré la chute des prix du pétrole.

La province
continue, en effet, de chercher des débouchés pour les plus de 2
millions de barils quotidiens qu’elle peut produire. Même si le
président américain Barack Obama devrait poser cette semaine un veto
reportant de nouveau la construction de l’oléoduc Keystone XL, qui doit
acheminer une partie des sables bitumineux vers le golfe du Mexique,
l’industrie ne donne pas pour l’heure signe de ralentissement. Et ce
malgré les nombreux constats alarmants quant aux impacts
environnementaux massifs de cette production : elle émet de 3 à 4,5 fois
plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel, a déjà rasé
800 km2 de forêt boréale, et menace le caribou de disparition tout en
pompant d’énormes quantités d’eau dans une rivière qui a vu son niveau
baisser au fil des années.

Le reportage de Manon Rescan, Le Monde – 19-02-2015

 


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